September 15, 2013
Toute la Corne de l’Afrique est occupée par les puissances néocoloniales. Toute ? Non ! Un pays peuplé d’irréductibles révolutionnaires résiste encore et toujours à l’envahisseur. Dans cette troisième et dernière partie de notre chapitre consacré à l’Erythrée, Mohamed Hassan nous dévoile la recette de la révolution érythréenne. Un pays africain peut-il se développer en laissant les multinationales à sa porte ? Pourquoi les relations restent-elles tendues entre l’Erythrée et son voisin éthiopien ? Le président Isaias Afwerki est-il un héros de la révolution ou un dictateur qui censure les médias ? Toutes les réponses dans ce nouveau chapitre de notre série « Comprendre le monde musulman ». | Interview réalisée par : Grégoire Lalieu & Michel Collon.
Après trente années de lutte, l’Erythrée devient indépendante et le Front de Libération du Peuple d’Erythrée (FPLE) monte au pouvoir en 1993. Comment le FPLE va-t-il assumer la transition entre la résistance armée et la gouvernance politique ?
Dès le départ, le FPLE ne s’est pas contenté de mener une lutte armée contre l’occupant éthiopien mais a développé un véritable projet politique : réforme agraire, émancipation des femmes, instauration de conseils démocratiques dans les villages… Dans toutes les zones qu’il contrôlait, le FPLE mettait en place des structures pour subvenir aux besoins élémentaires en matière de santé, d’éducation ou de nourriture. Lorsque l’Erythrée est devenue indépendante, le FPLE a continué à mener le projet politique initié durant la lutte pour l’indépendance. Avec une philosophie bien particulière : « Nous n’avons pas besoin de l’Occident pour nous développer ».
En effet, pour gagner son indépendance, l’Erythrée a dû lutter pratiquement seule contre toutes les grandes puissances : Etats-Unis, Union Soviétique, Europe, Israël… Tous ces pays soutenaient l’occupant éthiopien. Cette situation particulière a contribué à forger la vision politique des résistants érythréens et leur a appris à se débrouiller seuls. Ils savent, d’expérience, que les puissances néocoloniales divisent les Africains pour mieux s’emparer des richesses du continent. L’Erythrée a donc choisi de mener une politique de développement qui ne laisse pas de place aux ingérences des puissances étrangères.
Et ça fonctionne ? Un pays africain peut se développer sans aide de l’Occident ?
Evidemment ! En ce moment, on fête partout en Afrique des cinquantenaires d’indépendance. Mais en réalité, le continent ne s’est jamais libéré du colonialisme qui a juste pris une autre forme. Aujourd’hui, grâce à des institutions telles que l’OMC, l’Occident impose des règles de commerce qui permettent à ses multinationales de piller les richesses de l’Afrique et d’asservir les populations. Ces multinationales inondent le continent de produits subventionnés qui empêchent les producteurs locaux de se développer. Et tout cela est possible parce qu’à la tête de la plupart des Etats africains, des minorités pro-occidentales tirent profit de ce système pendant que l’immense majorité de la population est condamnée à la misère. Donc oui, un pays africain peut se développer sans aide de l’Occident. Parce que tant qu’il n’aura pas ôté son casque de colon, l’Occident restera un frein au développement de l’Afrique.
Peut-on parler de « révolution érythréenne » ?
Tout à fait. Le gouvernement a mis en place un modèle de développement reposant sur cinq piliers. Tout d’abord, la sécurité alimentaire : l’Erythrée ne peut défendre sa souveraineté nationale si sa population meurt de faim. Pour cela, le pays peut compter sur deux héritages du colonialisme italien : l’agriculture pluviale et l’économie des plantations reposant sur un système mécanisé. De plus, une réforme agraire a octroyé à chaque paysan son propre morceau de terre. Le gouvernement a également installé des stations de tracteurs à disposition des fermiers et propose même de les aider dans leur travail. L’agriculture est un métier pénible, surtout lorsqu’on dispose d’équipements rudimentaires. Mais avec l’aide du gouvernement, les paysans peuvent se libérer du temps pour apprendre à lire et se former à d’autres métiers.
L’accès à l’eau potable est le deuxième pilier. En Afrique, beaucoup de maladies sont liées à l’insalubrité de l’eau. Mais vous pouvez y remédier en mettant de l’eau potable à disposition dans tous les villages.
Nous en venons au troisième pilier : la santé. L’Erythrée dispose d’un réseau performant de cliniques disséminées dans tout le pays et connectées à des hôpitaux. De plus, l’accès aux soins de santé est gratuit. On peut comparer avec l’Ethiopie. Là-bas, si vous n’avez pas beaucoup d’argent, vous êtes mort ! Et encore… Un chanteur très célèbre, le Johnny Halliday éthiopien, souffrait de sérieux problèmes de diabète. Les autorités l’ont transporté d’un hôpital à l’autre mais n’avaient pas le matériel nécessaire pour le soigner. Résultat : la star éthiopienne est décédée.
Le quatrième pilier repose sur l’éducation, une priorité du gouvernement qui veut développer ses ressources humaines. En Afrique, beaucoup ont perdu de vue que les ressources matérielles ne suffisent pas à développer un pays. Evidemment, cela arrange bien les puissances impérialistes qui ont toujours fait croire qu’elles étaient indispensables aux Africains pour les aider à tirer profit de leurs ressources matérielles. Mais le facteur humain est primordial pour se développer et l’Erythrée veut donc avoir son propre personnel compétent pour exploiter ses matières premières.
Le dernier pilier est constitué par les Erythréens expatriés qui envoient de l’argent à leur famille restée au pays. Au passage, ils paient un pourcentage au gouvernement, ce qui constitue une source considérable de revenus. La CIA a essayé de briser ce réseau de financement mais n’y est pas parvenue.
Ces expatriés paient donc deux fois des impôts : une fois dans le pays où ils résident et une seconde fois au gouvernement érythréen ?
Oui, mais ils savent que cet argent servira notamment à construire des écoles, des routes et des hôpitaux et pas une villa pour le président Isaias Afwerki, qui mène un train de vie modeste. De plus, ces expatriés sont très liés à leur pays et savent à qui ils doivent la libération de l’Erythrée. La mobilisation de la population, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, est un facteur essentiel de la révolution érythréenne. C’est le ciment qui fait tenir les piliers du modèle de développement.
Un exemple : quand les Italiens ont colonisé l’Erythrée, ils ont construit une ligne de chemin de fer reliant le port de Massawa à la capitale, Asmara. Mais durant la guerre d’Indépendance, les Ethiopiens ont récupéré une partie de l’acier de cette ligne ferroviaire et l’ont endommagée en construisant des tranchées. Quand l’Erythrée est devenue indépendante, le gouvernement a voulu reconstruire cet axe stratégique. Des sociétés occidentales ont proposé de prendre ces travaux en charge, moyennant des sommes colossales allant jusqu’à 400 millions de dollars ! L’Erythrée a répondu : « Non merci, nous allons le faire nous-mêmes ». Tout le peuple s’est mobilisé, jeunes, femmes, vieillards… Et ils ont reconstruit cette ligne qui aujourd’hui fonctionne à nouveau. Le prix de ces travaux ? 70 millions de dollars. L’idée est de faire tout ce que l’on peut par soi-même pour ne pas dépendre des puissances étrangères. D’ailleurs, l’Erythrée est peut-être le seul pays au monde où il n’y a pas de spécialistes étrangers.
L’Erythrée serait donc la preuve qu’un pays africain peut se libérer du néocolonialisme pour se développer ?
En fait, tout dépend de là où vous mettez vos priorités. Si vous faites de la santé, de l’éducation ou de la sécurité alimentaire des objectifs prioritaires, vous pouvez très bien vous développer. Si par contre, comme dans beaucoup de pays africains, vos préoccupations premières sont de vous conformer aux normes du commerce mondial, vous êtes foutu !
John Perkins, un ancien membre respecté du monde bancaire, a écrit un ouvrage passionnant, « Confession d’un tueur à gage économique ». Perkins décrit comment son travail consistait à aider les Etats-Unis à extorquer des milliards de dollars aux pays pauvres en leur prêtant plus d’argent qu’ils ne pouvaient rembourser. Si vous dirigez un pays du Sud et que vous acceptez ces projets d’institutions telles que la Banque Mondiale ou le FMI, votre économie va être complètement déstabilisée, la corruption va se développer et les impérialistes vous tiendront à la gorge. C’est pourquoi, aujourd’hui, avant même d’envoyer la CIA pour déstabiliser un gouvernement jugé trop indépendant, on mobilise d’abord ces tueurs à gages économiques. Partout où il y a de la corruption, l’impérialisme a réussi. Et le gouvernement érythréen lutte activement contre cela.
L’Erythrée est composée de différentes ethnies. Comment le gouvernement parvient-il à mobiliser la population en surmontant cette diversité alors qu’elle est une source de déchirements dans beaucoup de pays africains ?
L’égalité entre les nationalités est un principe fondamental de la révolution érythréenne. Si vous respectez la diversité et mettez toutes les ethnies et les confessions sur le même pied, vous pourrez compter sur le soutien de la population. En Erythrée, il y a autant de chrétiens que de musulmans et pas moins de neuf ethnies différentes : Tigrés, Afars, Kunama, Saho, etc. Mais tous se sentent Erythréens avant tout. La culture joue également un rôle très important. Les dirigeants érythréens ont toujours fait grand cas de la diversité culturelle, encourageant chaque ethnie à valoriser ses traditions et à les partager. Partout en Afrique, des gens d’ethnies ou de religions différentes s’entretuent. Mais en Erythrée, ils organisent des spectacles de danse !
Avec les voisins éthiopiens, l’entente n’est malheureusement pas aussi bonne. Pourquoi les tensions persistent-elle?
Aujourd’hui, l’Ethiopie est dirigée par la minorité tigrée qui, dans les années 70, avait formé un mouvement séparatiste, le Front Populaire de Libération du Tigré (FPLT), et combattu la dictature militaire de Mengistu aux côtés des Erythréens. Cependant, à la différence de l’Erythrée qui était une ancienne colonie italienne, la région du Tigré a toujours fait partie intégrante de l’Ethiopie. Aussi, les résistants érythréens conseillèrent à leurs compagnons de lutte de ne pas se battre uniquement pour la libération de leur communauté mais pour celle de tous leurs concitoyens, quelle que soit leur nationalité. De plus, le FPLE avait conscience qu’une indépendance du Tigré n’aurait pas forcément entraîné la libération de l’Erythrée. Un changement de régime à Addis-Abeba était nécessaire et les résistants devaient unir leurs efforts dans ce sens.
En 1991, la dictature militaire fut renversée. Grâce à l’aide et aux conseils des Erythréens, les Tigrés prirent le pouvoir. Jusqu’ici, l’Ethiopie avait toujours été dirigée par des minorités ethniques œuvrant pour leurs propres intérêts. Tout le monde pensait que le nouveau gouvernement allait rompre avec cette tradition et appliquer le principe d’égalité entre les différentes nationalités, condition essentielle pour ramener la paix et le développement dans le pays. Mais le premier ministre Meles Zenawi, qui dirige maintenant le pays depuis 1991 et qui vient d’être réélu au travers d’élections frauduleuses, s’est inscrit dans la droite lignée de ses prédécesseurs : Ménélik II, Sélassié ou Mengistu. Il n’a aucune vision politique et gouverne selon ses propres intérêts. Il se maintient au pouvoir seulement grâce au soutien des Etats-Unis.
Nous l’avons vu dans le chapitre précédent, l’Ethiopie de l’empereur Sélassié était un allié privilégié des Etats-Unis. Mais avec la dictature militaire de Mengistu, le pays avait basculé du côté de l’URSS. Comment est-il repassé dans la sphère d’influence américaine ?
L’Union Soviétique avait commis une erreur en soutenant le régime soi-disant socialiste de Mengistu. Les Etats-Unis, par contre, avaient une meilleure vision de la situation. Ils savaient que le régime éthiopien n’avait pas de base sociale et était, par conséquent, très fragile. En fait, les puissances impérialistes ne peuvent rêver d’une meilleure configuration. Car un gouvernement qui ne représente pas la diversité de son peuple et qui n’agit que dans l’intérêt d’une minorité ne pourra pas se maintenir au pouvoir sans le soutien de puissances étrangères.
Washington connaissait bien la nature du régime de Mengistu et nourrissait donc l’espoir que l’Ethiopie revienne dans son cercle d’influence. Evidemment, avec l’arrivée au pouvoir de Meles Zenawi, les espoirs ont été largement dépassés ! Non seulement le nouveau gouvernement agit pour ses propres intérêts et ne dispose d’aucune base sociale, mais il a en plus détruit toutes les institutions héritées de Mengistu, vidant le corps de l’Etat de sa substance. Aujourd’hui, Zenawi est donc totalement dépendant du soutien financier, militaire et diplomatique des Etats-Unis. Par conséquent, il ne peut rien leur refuser. Washington veut installer une base militaire ? Ok, d’accord ! Washington veut que l’armée éthiopienne envahisse la Somalie ? Ok, d’accord ! Il n’y a même pas de négociations. Washington demande, Zenawi exécute. C’est tout à fait le contraire de ce que souhaite l’Erythrée pour la Corne de l’Afrique : la fin des ingérences étrangères. C’est pourquoi, aujourd’hui, l’Erythrée refuse de normaliser ses relations avec son voisin éthiopien. Certes, elle prône le dialogue entre les acteurs régionaux pour résoudre les conflits et établir les bases d’une coopération. Mais tant que l’un de ces acteurs restera une marionnette agitée par Washington, ce projet ne sera pas réalisable.
Pourtant, après la chute de Mengistu en 1991, il y a eu des accords de coopération entre l’Erythrée et l’Ethiopie. Pourquoi cela n’a-t-il pas fonctionné ?
Oui, les pays ont conclu des accords de libre-échange : élimination graduelle des barrières économiques, coopération dans les secteurs financier et monétaire, libre circulation des personnes, etc. Avec l’indépendance de l’Erythrée, l’Ethiopie s’était retrouvée privée d’un accès à la mer Rouge. Mais ces accords permettaient aux Ethiopiens de disposer librement des ports d’Erythrée. A Assab par exemple, le taux d’emploi d’Ethiopiens était très élevé. L’Ethiopie put même ouvrir dans cette ville quatre écoles répondant à son propre programme scolaire.
Les dirigeants érythréens pensaient vraiment pouvoir bâtir une collaboration fructueuse avec leurs homologues éthiopiens. Ils se connaissaient bien, ils avaient combattu ensemble. Mais c’était sans compter sur le manque de vision politique de Meles Zenawi et sa soumission à l’impérialisme US.
En peu de temps, l’Erythrée et l’Ethiopie passent de la coopération à la guerre. Un conflit frontalier oppose les frères ennemis en 1998. Quels étaient les enjeux de cette guerre ?
La question de la frontière n’était qu’un prétexte invoqué par Zenawi pour tenter de renverser le gouvernement érythréen. Cette frontière est l’une des mieux démarquées de l’Afrique. Elle a été tracée et confirmée à plusieurs reprises par des accords conclus entre les colons italiens et l’empire éthiopien au début du vingtième siècle. Par la suite, elle a également servi à démarquer le territoire érythréen d’abord comme entité fédérée puis comme province de l’Ethiopie. Elle était reconnue sur le plan international.
Mais Meles Zenawi a remis sa validité en cause vers la fin des années 90. Jusqu’ici, Isaias Afwerki, le président érythréen, n’avait pas accordé beaucoup d’attention à cette question et pensait qu’il en allait de même pour son homologue éthiopien. Afwerki savait que la frontière était clairement définie et que par ailleurs, son importance était toute relative au regard des accords entre les deux pays établissant notamment la libre circulation des personnes. Il estimait également que les défis socio-économiques à relever dans la région étaient plus essentiels.
Les choses se sont gâtées lorsque l’Ethiopie a tenté d’annexer les zones contestées et d’imposer une légitimité de fait : Addis-Abeba a produit une carte de l’Etat éthiopien incluant de larges étendues du territoire érythréen et a intensifié ses incursions militaires dans les régions disputées, chassant ou emprisonnant les habitants. En mai 1998, des accrochages entre patrouilles le long de la frontière débouchèrent sur un conflit ouvert. L’Erythrée remporta les premières batailles et récupéra très vite le contrôle des territoires contestés. Et c’est là qu’on voit très bien comment Asmara et Addis-Abeba interprétaient le conflit de manière différente. Pour l’Erythrée, il s’agissait clairement d’un conflit frontalier : une fois ses territoires récupérés, elle maintint ses positions en attendant que les instances internationales viennent confirmer qu’elle était dans son droit. Ce sera chose faite en 2002, la Cour d’arbitrage internationale de La Haye donnera raison à l’Erythrée sur le tracé de la frontière. Pour l’Ethiopie par contre, les motivations de cette guerre étaient tout à fait différentes. Il s’agissait, selon les déclarations de dirigeants éthiopiens, de « mettre fin à l’arrogance érythréenne », « d’infliger une punition » et de « châtier pour toujours » le FPLE.
C’est ce qui explique les importantes offensives de l’armée éthiopienne lancées par la suite ?
Tout à fait. Après que l’Erythrée ait repris le contrôle de ses territoires, les combats ont continué épisodiquement. Mais le 12 mai 2000, l’armée éthiopienne lança une nouvelle offensive, portant ses effectifs de 50.000 à 300.000 hommes. Addis-Abeba avait également réorganisé son commandement et dépensé presqu’un milliard de dollars en armement. Le champ de bataille s’étendait à présent bien au-delà des zones contestées à la frontière. Le conflit frontalier devenait en fait une véritable guerre d’invasion. L’Ethiopie ne souhaitait pas reprendre le contrôle des territoires disputés mais faire tomber le gouvernement. Elle avait également soigneusement choisi le moment pour attaquer : la période où les paysans commençaient à semer dans les champs. En pénétrant dans la région la plus fertile d’Erythrée, l’armée éthiopienne entendait faire fuir les paysans et affamer le pays.
Cette guerre fut effectivement une catastrophe humanitaire mais l’Ethiopie ne parvint pas à faire tomber la capitale Asmara. Dépassés en armes et en nombre, les combattants érythréens renouèrent avec leurs techniques de guérilla et repoussèrent l’envahisseur.
Pourquoi Meles Zenawi voulait-il renverser le gouvernement érythréen ?
Zenawi voulait faire de l’Ethiopie la puissance dominante de la Corne de l’Afrique et se construire une base sociale. En Ethiopie, le pouvoir est concentré entre les mains de la minorité tigré qui ne représente que 6% de la population. De plus, les dirigeants en poste à Addis-Abeba sont très éloignés de leur région d’origine. Dans la capitale, ils n’ont ni le soutien de la population, ni celui des élites. Avec cette guerre contre l’Erythrée, Zenawi voulait se donner l’occasion de réincarner le rêve de l’empire éthiopien et rallier les foules. Ca a marché pendant un temps : les contradictions qui émergeaient au sein de la société éthiopienne ont laissé place au patriotisme. Mais la défaite de l’armée éthiopienne et ses méthodes de combat ont très vite fait ressurgir les inégalités.
En effet, alors que les officiers sont tigrés, la plupart des soldats sont issus des ethnies Oromos et Amharas, les plus importantes démographiquement. Durant la grande offensive lancée contre l’Erythrée, les officiers éthiopiens ont utilisé la tactique de la vague humaine héritée de la Première Guerre mondiale. Cette technique consiste à envoyer, contre des positions défendues, un nombre tellement important de soldats que l’ennemi se trouve submergé. Bien évidemment, les pertes humaines sont énormes et l’Histoire a montré que cette tactique avait ses limites. Mais les officiers tigrés de l’armée éthiopienne n’en ont pas tenu compte et ont envoyé stupidement au casse-pipe des milliers d’Oromos et d’Amharas sans pouvoir venir à bout de leur opposant. Pour Zenawi, la défaite face à l’Erythrée et les contradictions au sein de l’armée ont brisé ses espoirs de se construire une base sociale. Il ne peut compter que sur le soutien d’une partie de la communauté tigré, ce qui n’est pas grand-chose. Sa réélection est plutôt surprenante. Les fraudes ont été manifestes et l’opposition au régime est de plus en plus grandissante.