March 4, 2017

À Djibouti, «la torture est devenue un mode gestion politique »

Entretien réalisé par Stéphane Aubouard

L’Humanité
Omar Guelleh lors d’un sommet pour la paix en Afrique organisé à Paris, en 2013. Ces dernières années, plus de 10 000 Djiboutiens ont fui en Éthiopie ou au Yémen. Feferberg/AFP

La visite du président djiboutien, Ismaïl Omar Guelleh, à Paris cette semaine soulève l’indignation de l’opposition. Mohamed Kadamy, dirigeant du Frud, dénonce un pouvoir qui foule quotidiennement aux pieds les droits de l’homme.

Quel sens donnez-vous à cette visite du président djiboutien en France, la première sous le quinquennat Hollande ?
Mohamed Kadamy Cela faisait près de six ans qu’Ismaïl Omar Guelleh n’avait pas décroché de rendez-vous à Paris. Pour lui, cela reste un bon coup de pub, mais cela montre aussi le début d’une certaine gêne de la France vis-à-vis d’un pays, partenaire historique, où les droits de l’homme sont quotidiennement bafoués. Sarkozy l’avait reçu à l’Élysée dès sa première année de mandat, sous l’impulsion du Medef (il reviendra en 2010, 2011 et en 2013 lors d’un sommet africain). Mercredi, une rencontre avec Pierre Gattaz serait aussi prévue, et j’ai entendu dire que des sénateurs de droite pourraient aussi le rencontrer. À Djibouti, outre le pouvoir militaire français, ce sont les entrepreneurs et les patrons installés depuis longtemps qui continuent de plaider la cause de Guelleh en France, en échange de quelques avantages.
Des organisations djiboutiennes ont manifesté samedi à Paris. Un autre rassemblement est prévu demain (si accord de la préfecture). Quel message souhaitez-vous faire passer au gouvernement ?
Mohamed Kadamy
Nous demandons à la France de ne pas céder à Ismaïl Omar Guelleh. En 2013, après les élections législatives qui avaient vu l’opposition gagner, puis se faire voler la victoire, l’ambassadeur de France avait pointé du doigt les nombreuses irrégularités. Guelleh avait demandé sa tête et l’avait obtenue. Nous attendons plutôt de la France qu’elle dénonce le recours à la torture systématique dans notre pays, devenue un mode de gestion politique contre l’opposition.
Nous sommes un petit pays de 800 000 habitants. Aussi la terreur d’État n’épargne-t-elle personne. En décembre 2016, deux chameliers ont été abattus par l’armée non loin de Moussa Ali, à la frontière éthiopienne. Deux bergers ont été torturés à mort à Tadjourah, la même année. Nos amies du Comité des femmes djiboutiennes ont manifesté samedi pour dénoncer le viol couramment usité par le pouvoir. Nous demandons au pourgouvernement français d’aider à la libération de Mohamed Ahmed Edou depuis son arrestation en 2010 pour appartenance supposée au Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (Frud). On lui inflige un -traitement inhumain depuis plus de six ans, entre torture, défaut de soins, isolement et privation de tous droits élémentaires. Nous demandons enfin la libération de douze autres prisonniers détenus arbitrairement.

Quelle marge de manoeuvre politique existe-t-il pour contrer l’actuel président ?
Mohamed Kadamy Je crois que les élections législatives de 2013 ont démontré que le roi était nu. Les bases sociales sur lesquelles il s’appuyait ont fini par exploser après le massacre du 21 décembre 2015 par les forces du régime à Buldhuqo (faubourg de la capitale), lors d’une cérémonie traditionnelle. On parle de 70 morts et 150 blessés. Par ailleurs, la récente promotion du gendre de Guelleh, ministre de la Santé, est source de tensions au coeur même du pouvoir. De son côté, la coalition antigouvernementale s’est désunie lors de la présidentielle de 2016, faute d’avoir pu désigner un candidat unique. Aujourd’hui, cette coalition bat de l’aile, mais la colère de la population augmente. Il faut l’entendre et s’organiser pour 2018. La situation économique est désastreuse. Le clan Guelleh mange tout, détient le business aussi bien que les postes de la fonction publique. 80 % des Djiboutiens vivent sous le seuil de pauvreté. Un sur deux est au chômage. Ce qui pousse les Djiboutiens à partir. En quelques années, plus de 10 000 Djiboutiens ont fui en Éthiopie ou au Yémen. L’an dernier, une centaine d’entre eux sont morts en -voulant traverser la Méditerranée. Ce gouvernement n’a pas de limites et use de tous les stratagèmes pour étouffer son peuple. Dans la région du Nord, désignée comme fief du Frud, le gouvernement procède désormais au blocage ou au – rationnement des denrées alimentaires. Qui dit mieux ?

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